L'interview du week-end

"Sans 'Mon soutien psy', beaucoup n’auraient pas franchi la porte d’un cabinet"

Priscilla Descheemaeker est psychologue libérale et présidente de l’association AID-Psy-Co. Pour Pourquoi Docteur, elle revient sur le dispositif "Mon soutien psy", lancé par l’Etat il y a trois ans, qui permet à tous de bénéficier de douze séances de thérapie avec un psychologue entièrement remboursées par l’Assurance maladie.

  • Nadija Pavlovic / istock
  • 15 Jun 2025
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    Réponse à la crise du Covid-19, le dispositif "Mon soutien psy" permet à toute personne, dès l’âge de 3 ans, qui se sent angoissée, déprimée ou en souffrance psychique, de bénéficier, sans prescription médicale, de 12 séances d’accompagnement psychologique avec un professionnel agréé. Ces séances, à hauteur de 50 euros, sont prises en charge par l’Assurance maladie à 60 % (100 % dans certains cas), le reste par votre mutuelle ou, le cas échéant, par la complémentaire santé solidaire (C2S). Quelque 587.000 patients en ont bénéficié depuis son lancement en 2022.Psychologue libérale partenaire du dispositif, Priscilla Descheemaeker est cofondratrice et présidente d’AID-Psy-Co, pour Association pour l'Information et la Défense des Psychologues Conventionnés, qui représente les intérêts de la profession et propose diverses formations sur la dépression, le burn-out, les TOC, les insomnies, etc.

    - Pourquoi Docteur : Trois ans après la mise en place de "Mon soutien psy", quel bilan peut-on tirer ?

    Priscilla Descheemaeker : Au bout de trois ans, ce que l’on constate tous, c’est qu’un grand nombre de personnes ne seraient jamais venues consulter sans ce dispositif. C’est souvent ce qui nous motive en tant que psychologues partenaires : on rencontre chaque jour des personnes qui, sans ce cadre, n’auraient pas franchi la porte d’un cabinet. "Mon soutien psy" joue donc un rôle de prévention à plusieurs niveaux, que ce soit pour affronter des problèmes de santé mentale (dépression, anxiété, troubles du comportement alimentaire, addiction au tabac ou au cannabis...) ou des événements du quotidien : deuil, accident, harcèlement scolaire, sensibilité accrue, etc.

    - Quel type de patients le dispositif accueille-t-il ?

    Ce sont des profils très variés, comme dans tout cabinet classique. Chaque psychologue a ses spécificités, certains travaillent davantage avec les personnes âgées, d'autres plutôt avec les enfants – comme moi. Il n'y a pas de critères "à cocher" pour pouvoir accéder au dispositif. On peut venir pour un mal-être global, une rupture difficile, une épreuve quelconque, sans que ce soit nécessairement une dépression clinique. C’est le travail du psychologue d’évaluer la situation, de discuter avec le patient, d’observer son évolution.

    Dans l’esprit du dispositif, on vise les troubles psychiques dits "légers à modérés". Il ne s’adresse donc pas aux pathologies lourdes comme la psychose, les délires ou certaines dépressions profondes, qui nécessitent une prise en charge médicale plus spécialisée. Et, dans les rares cas où cela se présente – un patient schizophrène par exemple – on l’oriente naturellement vers un psychiatre.

    Seuls les psychologues diplômés peuvent y participer. C’est un gage de sécurité, de garantie. En revanche, les approches restent variées : EMDR, hypnose, TCC, etc.

    - Le cadre de "Mon soutien psy" a-t-il évolué depuis son lancement ?

    Oui, il y a eu de belles avancées. On est passé de huit à douze séances remboursées par année civile, avec une certaine souplesse qui permet parfois des dérogations pour aller au-delà. De plus, le courrier d’adressage par un médecin n’est plus requis : les patients peuvent directement prendre rendez-vous avec un psychologue partenaire, ce qui simplifie la démarche.

    - Qui sont les psychologues associés au dispositif ?

    Début avril 2025, près de 5.500 psychologues étaient engagés dans le dispositif, répartis sur tout le territoire français. Seuls les psychologues diplômés peuvent y participer – ni les psychothérapeutes, ni les psychanalystes. C’est un gage de sécurité, de garantie. En revanche, les approches restent variées : EMDR, hypnose, thérapies cognitivo-comportementales, etc. Pour rejoindre le dispositif, il faut justifier de trois ans d'expérience et déposer un dossier examiné par une commission. 

    - Le nombre de psychologues partenaires est-il suffisant ?

    Il en faudrait davantage. Au cours d’un vie peuvent s'accumuler de nombreuses difficultés : deuil, rupture, accouchement difficile, addiction, etc. Plus on peut consulter rapidement, plus on peut se décharger de ces émotions et éviter l’installation de troubles psychiques sur le long terme. Nous vivons dans une société anxieuse : si chacun pouvait venir exprimer ce qu’il a sur le cœur, ce serait un pas vers une forme de résilience collective.

    [Parmi les pistes d’amélioration :] lever le plafonnement à douze séances par an, supprimer les critères d'exclusion actuels liés à la nature du trouble mental, et autoriser le dépassement d'honoraires.

    - Et douze séances par an, est-ce suffisant ?

    Selon les statistiques de l’Assurance maladie, douze séances suffisent en moyenne. Parfois, en quatre ou cinq séances, des déblocages importants peuvent survenir, surtout si l'on intervient au bon moment. Les premières séances permettent souvent de poser les bases, de "décharger".

    - Quelles améliorations seraient nécessaires ?

    Pour moi, il y en a trois principales : lever le plafonnement à douze séances par an, supprimer les critères d'exclusion actuels liés à la nature du trouble mental, et autoriser le dépassement d'honoraires, le tarif de base (50 euros) ne couvrant pas nos coûts. Il faudrait aussi renforcer les garanties, alors qu’aujourd’hui, un psychologue n’est pas obligé de suivre une formation continue. En dix ans, rien ne nous oblige à nous mettre à jour sur la pharmacologie ou la psychopathologie... Éthiquement, beaucoup le font, mais pas tous.

    - Pour vous, ce dispositif reste néanmoins un pas en avant pour protéger la santé mentale ?

    Il peut faire l'objet de critiques, mais il a le mérite d'être un signal fort. La santé mentale n'est plus un tabou, la parole s’est libérée. C'est particulièrement visible chez les jeunes, les enfants, les ados, notamment depuis la pandémie de Covid. Mais il n’y a pas que la crise sanitaire : les périodes de chômage, les reconversions professionnelles, les entreprises qui ferment, les problèmes de management, les relations toxiques au travail, mais également l'éco-anxiété, le terrorisme... sont autant de bouleversements sociétaux qui peuvent affecter notre santé mentale.

    - Faudrait-il étendre le dispositif à d’autres professionnels comme les psychothérapeutes ou les sophrologues ?

    Pour l’instant, le dispositif est réservé aux psychologues – c’est déjà beaucoup. Ce titre garantit une véritable compétence. C’est crucial pour éviter certaines dérives, le charlatanisme, le magnétisme, etc. Il faut maintenir ce cadre clair et sérieux.

    - Au-delà de "Mon soutien psy", que penser du "plan santé mentale" dévoilé cette semaine par l’Etat, qui prévoit notamment un repérage précoce des jeunes atteints de troubles et le renforcement de la formation en psychiatrie ?

    La santé mentale a été déclarée "grande cause nationale 2025" par le gouvernement, mais il faudra attendre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour voir quel budget sera alloué à ce plan. Mais certaines mesures vont dans le sens de nos revendications, comme le renforcement des moyens dans les centres médico-psychologiques (CMP), les services de psychiatrie. Solution de première ligne pour les patients, "Mon soutien psy" est un bon levier pour préserver la santé mentale. Mais pour fonctionner, il doit s’accompagner d’une réorganisation globale de la prise en charge de la santé mentale, d’une meilleure coordination des services, d’une augmentation de l’offre de soins psychiques en général...

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