Cardiologie
Infarctus du myocarde : les bêtabloquants entre confirmation et remise en question
Deux grands essais présentés à l'ESC 2025 aboutissent à des conclusions divergentes chez les patients post-infarctus avec FEVG ≥40 % : bénéfice modeste dans BETAMI–DANBLOCK, absence d’effet dans REBOOT. La décision de prescrire au long cours devrait être individualisée selon le profil ischémique, la FEVG et le contexte de revascularisation.

- Liubomyr Vorona/istock
Historiquement, les bêtabloquants réduisaient mortalité et récidive d’infarctus, sur la base d’essais anciens conduits avant la reperfusion systématique. Leur bénéfice reste indiscutable quand la FEVG ≤40 %. L’incertitude persiste pour les FEVG préservées ou légèrement réduites (≥40 %). Deux essais récents, de conception proche mais de résultats contrastés, réévaluent cette indication.
BETAMI–DANBLOCK (Norvège/Danemark) a randomisé 5 574 patients dans les 14 jours post-événement, FEVG ≥40 %, bêtabloquant vs absence de bêtabloquant ; après 3,5 ans, le critère principal composite (décès, nouvel infarctus, revascularisation non planifiée, AVC ischémique, insuffisance cardiaque, arythmies ventriculaires malignes) est réduit sous bêtabloquant : 14,2 % vs 16,3 % (HR 0,85 ; IC à 95 % 0,75–0,98 ; p=0,03), avec moins de récidives d’infarctus (5,0 % vs 6,7 % ; HR 0,73). À l’inverse, REBOOT (Espagne/Italie) a inclus 8 438 patients sortant d’une prise en charge invasive, FEVG >40 %, et ne montre aucun effet sur le critère composite décès, ré-infarctus ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque après 3,7 ans (HR 1,04 ; IC à 95 % 0,89–1,22), ni sur ses composantes.
De l’ère pré-reperfusion à l’angioplastie moderne : que reste-t-il du dogme ?
Dans BETAMI–DANBLOCK, la réduction du risque est surtout portée par la baisse des ré-infarctus, sans différence pour la mortalité toutes causes (4,2 % vs 4,4 %), l’IC, l’AVC ou les arythmies ventriculaires malignes ; la tolérance est comparable entre groupes malgré des doses modestes (métoprolol LP médiane 50 mg) et un crossover proche de 11 %. Le bénéfice semble plus marqué lorsque la FEVG est « légèrement réduite » (41–49 %; HR 0,82 ; IC à 95 % 0,65–1,02, analyse exploratoire).
REBOOT, avec adjudication centrale en aveugle et stratégie pragmatique (bêtabloquant au choix, doses libres), ne retrouve pas d’effet, y compris en analyses de sous-groupes ; des signaux exploratoires d’inefficacité chez les femmes et les STEMI demandent confirmation. Les profils de sécurité sont superposables.
La cohérence de REBOOT avec REDUCE-AMI (FEVG ≥50 %) et CAPITAL-RCT renforce l’hypothèse qu’en population largement revascularisée, sous DAPT et statines, l’effet des bêtabloquants s’atténue lorsque la fonction systolique est conservée.
Vers une prescription ciblée ?
Ces essais partagent un design ouvert avec évaluation des événements en aveugle, mais diffèrent par le calendrier d’initiation (≤14 jours dans BETAMI–DANBLOCK vs à la sortie dans REBOOT), la distribution des FEVG (inclusion systématique des FEVG 40–49 % dans BETAMI–DANBLOCK, plus restreinte dans REBOOT) et l’intensité thérapeutique contemporaine. Le bénéfice modeste observé dans BETAMI–DANBLOCK, dominé par la réduction des ré-infarctus non STEMI, suggère qu’un sous-ensemble (FEVG 40–49 %, charge ischémique résiduelle, fréquence cardiaque élevée, angor) pourrait tirer avantage d’un bêtabloquant au long cours. À l’opposé, chez les patients entièrement revascularisés, FEVG ≥50 %, stables et optimisés, REBOOT soutient une stratégie d’abstention sans perte de chance.
Selon les auteurs, il paraît raisonnable de : maintenir une indication forte lorsque la FEVG ≤40 % ; considérer les bêtabloquants chez les FEVG 40–49 % ou en présence de symptômes/ischémie documentée ; réévaluer systématiquement la poursuite au-delà de 6–12 mois chez les FEVG ≥50 % stables, surtout si bradycardie, hypotension ou intolérance.
Les priorités de recherche incluent une méta-analyse sur données individuelles combinant BETAMI–DANBLOCK, REBOOT et REDUCE-AMI pour identifier les phénotypes répondeurs, la comparaison par classes/doses, et la durée optimale de traitement. En attendant, la prescription doit être individualisée, partagée avec le patient, et révisée au fil du temps à l’aune du rapport bénéfice–risque et des objectifs de fréquence/angor.