Onco-Dermato

Mélanome in situ : vers une désescalade chirurgicale raisonnée ?

Chez des patients porteurs d’un mélanome cutané in situ, hors lentigo malin et lentigo acral (MIS non-LM/non-ALM), l’absence de récidive locale après excision diagnostique à marges saines interroge la nécessité systématique d’une reprise chirurgicale large. Ces données soutiennent une prise de décision partagée et la conception d’essais de non-infériorité.

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  • 09 Septembre 2025
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    Le mélanome cutané in-situ est de plus en plus diagnostiqué alors que les recommandations européennes et américaines préconisent une reprise d’exérèse (wide local excision, WLE) avec marge ≥5 mm, indépendamment des marges initiales. Dans un contexte d’overdiagnostic documenté, l’enjeu est de limiter les sur-traitements sans compromettre la sécurité oncologique. Une cohorte rétrospective monocentrique (Athènes, 1991–2023) a inclus 401 patients (403 MIS non-LM/non-ALM, âge médian 52 ans ; suivi médian 5,2 ans). Toutes les lésions ont eu une biopsie excisionnelle ; 92,3 % ont ensuite eu une WLE.

    Selon les résultats publiés dans le JAMA Dermatology, aucune récidive locale après WLE n’est observée lorsque les marges histologiques sont saines, aucune métastase et aucun décès spécifique au mélanome n’ont par ailleurs, été observés. Un seul cas a récidivé, évoluant en mélanome invasif à 14 mois, chez un patient avec marges envahies à l’excision diagnostique qui avait refusé la WLE. Ces observations posent la question d’une approche plus parcimonieuse lorsque les marges initiales sont indemnes.

    Cohérence des signaux en faveur de la désescalade

    Parmi 30 lésions avec marges saines à la biopsie et sans WLE, aucune récidive n’a été observée après 8,1 ans de suivi médian. De même, 23 WLE réalisées avec des marges plus étroites que le standard (moyenne 3,6 mm) n’ont révélé aucune récidive après 4,3 ans de suivi médian. Six suspicions cliniques de récidive péri-cicatricielle se sont avérées bénignes (naevus ou lentigo solaire).

    La distribution topographique des MIS (tronc 49,9 %, MI 24,6 %, MS 17,6 %, tête-cou 7,9 %) et l’absence d’événements à distance confortent la faible agressivité de ces sous-types hors lentigo malin et lentigo acral.

    Sur le plan de la « tolérance », l’évitement d’une WLE évite une seconde intervention, des complications cicatricielles et des coûts directs et indirects, dans un contexte où la charge médico-économique de l’overdiagnostic est élevée. À l’inverse, le seul échec oncologique survient lorsque la marge initiale est positive, rappelant l’impératif d’une exérèse diagnostique complète et de la re-prise en cas de marge envahie.

    Enfin, la littérature convergente et la classification MPATH-Dx v2.0, qui rapproche MIS et nævus sévèrement dysplasique comme lésions de haut grade à faible potentiel évolutif, renforcent la plausibilité biologique d’une désescalade ciblée, tout en excluant les formes LM/ALM plus récidivantes.

    Comment changer la pratique sans brûler les étapes ?

    Cette étude rétrospective, à suivi prolongé, a recensé rigoureusement récidives locales, métastases et survie spécifique et a comparé trois voies de prise en charge : WLE standard, WLE à marge réduite, et absence de WLE après marges saines. Ses limites invitent cependant à la prudence : centre unique de référence, hétérogénéité diagnostique sur 32 ans, estimation des marges de reprise à partir des comptes rendus macroscopiques avec possible rétraction tissulaire (jusqu’à ~15 %), et faible effectif dans les bras « marges réduites » et « pas de WLE ». La population excluait volontairement LM et ALM, non extrapolables.

    Selon un éditorial associé, ces données étayent une conduite individualisée du MIS hors lentigo malin et lentigo acral. Premièrement, il faut viser des marges histologiques indemnes lors de la biopsie excisionnelle et réopérer en cas de marge envahie. Deuxièmement, il faut discuter l’abstention de la chirurgie d’extension lorsque les marges sont saines, en décision partagée et selon le site, la taille, l’imagerie dermoscopique et l’expertise anatomo-pathologique. Troisièmement, il paraît nécessaire de réserver les marges standard ou des techniques de contrôle périphérique aux localisations ou phénotypes à risque, et maintenir une attitude plus interventionnelle pour les lentigos malins et les lentigos acraux.

    Les priorités de recherche sont claires : essais multicentriques de non-infériorité comparant « pas de WLE si marges saines » versus WLE standard, avec critères de jugement centrés sur la récidive locale, et harmonisation diagnostique (référentiels, double lecture) pour limiter le drift vers le sur-diagnostic. À terme, une désescalade chirurgicale raisonnée pourrait réduire les risques, l’anxiété et les coûts, sans sacrifier la sécurité oncologique des patients.

     

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