L'interview du week-end

"Maintenir les petites maternités est la meilleure façon de mettre en danger les mères"

Alors que les députés ont approuvé un moratoire sur les fermetures de maternités, le Pr Patrick Rozenberg, obstétricien et président du CNGOF, dénonce une décision politique déconnectée des enjeux de santé publique. Il estime que le maintien de petites structures fragilise la sécurité des patientes.

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  • 22 Jun 2025
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    Le Professeur Patrick Rozenberg est président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). Il exerce à l’Hôpital Américain de Paris.

    - Pourquoi Docteur : Que pensez-vous du moratoire de 3 ans sur la fermeture des maternités récemment voté en première lecture par l’Assemblée nationale ?

    Pr Patrick Rozenberg : Maintenir certaines petites maternités est un non-sens en termes de santé publique. Bien sûr, dans quelques cas bien identifiés, comme en Corse-du-Sud où les patientes sont à deux heures au moins d’un hôpital, il faut garder des structures de proximité. Pareil à Chambéry (Savoie), en hiver par exemple, lorsqu’une tempête bloque les routes et empêche les hélicoptères de décoller. Mais ces situations doivent être traitées au cas par cas.

    - Les délais d’accès aux soins sont-ils toujours déterminants ?

    Un délai d'une heure pour accéder à une maternité est plus que raisonnable. Les accouchements durent en moyenne entre 12 et 15 heures, ou 6 à 8 heures pour une femme ayant déjà accouché : cela laisse généralement le temps d’arriver à l’hôpital. Certes, il existe des cas d’accouchement imminents ou avec hémorragie, et donc à risque, mais ils sont rares.

    Un médecin devient compétent à force de pratiquer toujours les mêmes gestes. Or, s’il ne fait que cinq césariennes par an, ou même vingt, c’est insuffisant.

    - Quels sont les risques liés au maintien de petites maternités ?

    Maintenir les maternités de moins de 300 naissances par an est la meilleure façon de mettre en danger les mères. La principale menace concerne les compétences – en anesthésie, en réanimation, en échographie, en radiologie, en chirurgie... Un médecin devient compétent à force de pratiquer toujours les mêmes gestes. Or, s’il ne fait que cinq césariennes par an, ou même vingt, c’est insuffisant. En cancérologie, par exemple, des seuils d’activité sont exigés. Mais pas pour les césariennes, qui concernent pourtant 20 % des naissances... C’est une intervention simple dans 95 % des cas, mais les 5 % restants peuvent être critiques.

    - Et pour les nouveau-nés ?

    Le manque d’obstétriciens, de sages-femmes et de pédiatres est alarmant. Quand un enfant naît en état de détresse, seul un pédiatre réanimateur peut améliorer son pronostic. Or, dans une petite maternité, il n’y a souvent ni anesthésiste sur place, ni réanimateur, ni pédiatre formé à intuber un nourrisson.

    - Comment expliquer les mauvais chiffres en matière de mortalité maternelle et infantile en France ?

    C’est multifactoriel. Le numerus clausus a limité la formation de médecins alors même qu’on prévoyait le "papy-boom". Par ailleurs, les médecins internes – hommes comme femmes – veulent aujourd’hui une meilleure qualité de vie, plus du temps à consacrer à leur famille et moins aux gardes. Donc, il faut parfois deux ou trois jeunes pour remplacer un médecin plus âgé qui part à la retraite. Ajoutons à cela un recours accru à l'intérim ou à des médecins étrangers parfois moins bien formés. L'intérimaire, même compétent, ne connaît pas les lieux, les protocoles, le matériel. Cela ralentit l’action en situation d’urgence.

    Dans une petite maternité, il n’y a souvent ni anesthésiste sur place, ni réanimateur, ni pédiatre formé à intuber un nourrisson.

    - Le problème est donc aussi organisationnel ?

    Absolument. Les progrès de la médecine dépendent de l'organisation du soin. Ce n’est pas qu’une question de compétence individuelle. Pour sécuriser le parcours des patientes, il faut un plateau technique complet, des équipes formées, un réseau efficace. Et les jeunes ne veulent plus travailler isolés, sans sécurité. Allez expliquer à un médecin de 35 ans qu’il va se retrouver sans aucun moyen dans une maternité avec 300 naissances par an !


    - La fermeture des petites maternités est-elle inéluctable ?

    Il faut raisonner en fonction de la proximité des structures. Si une grande maternité de 1.000 naissances est à une heure de route, on peut fermer celle de 300 qui est à dix minutes. Cela améliore les compétences globales et permet un regroupement des moyens. Par exemple, l’embolisation utérine, qui sauve des vies en cas d’hémorragie, n’est possible que dans quelques hôpitaux très équipés. Il faut donc rationaliser.

    - Et en termes financiers, quel intérêt ?

    Les économies d’échelle sont évidentes. Une garde n’implique pas qu’un obstétricien, mais aussi un anesthésiste, une infirmière, un réanimateur, etc. Fermer deux petites structures pour en renforcer une seule semble plus logique. Certains pays nordiques l’ont fait. Le Danemark, par exemple, a divisé par deux son nombre de maternités et réduit la mortalité infantile et maternelle.

    [Ce moratoire] est une décision politique, pas médicale. Car fermer une maternité, c’est perdre un service local, un bassin d’emploi, des voix aux élections.

    - Comment donc expliquer le moratoire voté par les députés sur les fermetures ?

    C'est une décision politique, pas médicale. Il faut savoir que les maires siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux. Fermer une maternité, c’est perdre un service local, un bassin d’emploi, des voix aux élections. Ils s’opposent donc systématiquement. Mais cela se fait au détriment de l’intérêt des patientes.

    - Vous dénoncez aussi une forme de démagogie. Pourquoi ?

    Parce qu’on donne l’illusion de solutions simples. Par exemple, l’idée d’envoyer les jeunes médecins deux jours par semaine dans les déserts médicaux : sur le papier, c’est séduisant. Mais dans les faits, un étudiant en dermatologie en Île-de-France choisira une spécialité moins contraignante pour éviter cette obligation. Résultat, on crée des pénuries ailleurs. Il y a également un déni collectif face à la réalité démographique : il y a aujourd’hui moins de naissances, plus de retraités, des traitements de plus en plus chers… Mais personne n’ose le dire franchement aux Français, parce que c’est électoralement suicidaire.

    - Quels seraient, selon vous, les solutions ?

    Comme le proposent le CNGOF et la Société française de médecine périnatale (SFMP), il faut planifier une réorganisation des maternités, ne pas attendre que les médecins partent ou que la structure s’écroule. Il fallait depuis longtemps ouvrir les vannes de la formation médicale, car on savait que le papy-boom allait créer des tensions. Même chose pour les sages-femmes ou les infirmières : on leur donne plus de responsabilités (échographie, contraception, suivi de grossesse...) mais sans revalorisation, ni conditions de travail acceptables. Par conséquent, elles fuient l’hôpital pour le libéral.

    - Le regroupement des maternités est-il risqué ?

    Non. En moyenne, on reste à 20-30 minutes d’une maternité. Les accouchements inopinés à domicile sont très rares, et le plus souvent, ils se passent bien. Et même s’ils augmentaient un peu, combien d’enfants sont sauvés grâce à la présence sur place d’un pédiatre ou d’un anesthésiste dans les maternités plus grandes ? Le bénéfice reste supérieur au risque.

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